Les Hébreux à peine sortis d’Egypte, se trouvent confrontés à une nouvelle épreuve : devant eux la mer (Yam Souf) derrière eux l’armée égyptienne lancée à leur poursuite. Or, cette épreuve, elle aussi, faisait partie du plan d’endurcissement du Pharaon comme dit le verset :
« Et Je raffermirai le cœur du Pharaon et il les poursuivra ; puis J’accablerai de Ma puissance le Pharaon et toute son armée et les Egyptiens sauront que Je suis Hachem ! » (Exode 14,4)
Le Maharal, dans son commentaire de ce verset (Guevourot Hachem), indique que les épreuves de la sortie d’Egypte ne devaient s’achever qu’après le passage de la mer Rouge. Deux expériences différentes du « salut » devaient en effet être vécues par Israël et témoigner au monde de l’existence d’une Providence, au-delà des conditionnements naturels. D’une part, que la délivrance de l’oppression humaine était possible : ce fut la sortie d’Égypte elle- même.
D’autre part, que le déterminisme des lois naturelles pouvait être brisé. C’est d’ailleurs pourquoi la Haggada de Pessah multipliera l’importance des plaies qui eurent lieu sur la mer par rapport aux plaies d’Égypte proprement dites.
Toutefois, on peut s’étonner de la crainte des Hébreux devant cette nouvelle épreuve, après la certitude du salut au moment de la dernière des dix plaies. Cette certitude impliquait de toute évidence qu’ils savaient déjà que la protection de D.ieu leur était assurée. Et pourtant dit le récit :
« Et le Pharaon s’approcha, et les enfants d’Israël levèrent les yeux, et voici ; l’Égypte était à leur poursuite, et ils eurent très peur ; et les enfants d’Israël crièrent vers D.ieu. » (Exode 14,10)
Pourquoi cette peur ?
Le commentaire de Rachi sur ce verset nous en donne la raison : « ils ont vu le prince céleste de l’Égypte venir du ciel pour aider l’Égypte. » Selon la tradition biblique, chaque nation possède un ange tutélaire qui plaide pour elle au Tribunal céleste. Or, en stricte justice, l’Égypte avait déjà payé le prix de sa mainmise sur Israël. La clause des plaies était en effet : « Laisse sortir Mon peuple, sinon Je te frapperai… de dix plaies. » Elles avaient déjà toutes eu lieu, et le peuple d’Israël appartenait donc encore à l’Égypte.
C’est pourquoi, afin que la balance du mérite penche pour Israël, il fallait qu’il soit lui-même capable d’un engagement de foi, afin d’obtenir par lui-même, en quoi que ce soit, le salut ultime. Comme l’indique le verset cité en tête de cette étude, la prière de Moché, elle-même, aurait été insuffisante.
D’après le Midrash, le prince de la tribu de Yéouda, Na’hchon Ben Aminadav, se jeta le premier dans la mer et entraîna tout le peuple avec lui. Aujourd’hui, en Israël, on appelle Na’hchonim ceux qui sont les « avant-gardes » de toute action collective qui réclame le courage de l’engagement désintéressé.